divendres, de juliol 08, 2011

Les soupirs du servant de Dakar

C'est dans la cagnat en rondins voilés d'osier
Auprès des canons gris tournés vers le nord
     Que je songe au village africain
Où l'on dansait où l'on chantait où l'on faisait l'amour
          Et de longs discours
               Nobles et joyeux


            Je revois mon père qui se battit
       Contre les Achantis
       Au service des Anglais
            Je revois ma soeur au rire en folie
            Aux seins durs comme des obus
                    Et je revois
       Ma mère la sorcière qui seule du village
                Méprisait le sel
           Piler le millet dans un mortier
       Je me souviens du si délicat si inquiétant
      Fétiche dans l'arbre
      Et du double fétiche de la fécondité
      Plus tard une tête coupée
      Au bord d'un marécage
      O pâleur de mon ennemi
      C'était une tête d'argent
          Et dans le marais
      C'était la lune qui luisait
      C'était doncs une tête d'argent
      Et moi dans l'antre j'étais invisible
C'était donc une tête de nègre dans la nuit profonde
          Similitudes Pâleurs
          Et ma soeur
          Suivit plus tard un tirailleur
                     Mort à Arras.


           Si je voulais savoir mon âge
                Il faudrait le demander à l'évêque
                Si doux si doux avec ma mère
                De beurre de beurre avec ma soeur
                C'était  dans une petite cabane
Moins sauvage que notre cagnat de canonniers-servants
           J'ai connu l'afftût au bord des marécages
           Où la girafe boit les jambes écartées
J'ai connu l'horreur de l'ennemi qui dévaste
                        Le Village
                   Viole les femmes
                   Emmène les filles
Et les garçons dont la croupe dure sursaute
J'ai porté l'administrateur des semaines
            De village en village
                  En chantonnnant
       Et je fus domestique à Paris
                    Je ne sais pas mon âge
                    Mais au recrutement
                    On m'a donné vingt ans
       Je suis soldat français on m'a blanchi du coup
      Secteur 59 je ne peux pas dire où
Pourquoi donc être blanc est-ce mieux qu'être noir
Pouquoi ne pas danser et discourir
          Manger et puis dormir
Et nous tirons sur les ravitaillements boches
Ou sur les fils de fer devant les bobosses
Sous la tempête métallique
     Je me souviens d'un lac affreux
Et de couples enchaîneés par un atroce amour
              Une nuit folle
        Une nuit de sorcillerie
        Comme cette nuit-ci
    Où tant d'affreux regards
    Éclatent dans le ciel splendide.
Les soupirs du servant de Dakar - Calligrammes
Apollinaire - Gallimard

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